Lundi, l’Assemblée a adopté la motion de rejet portée par le groupe écologiste. Mais la bataille contre cette loi continue et avec elle la nécessité de convaincre que ce texte n’est pas en accord avec nos valeurs les plus fondamentales.
Voici le discours que j’aurais prononcer dans l’Hémicycle si la motion de rejet n’avait pas été adoptée.
Qui a peur du débat, nous avez-vous demandé monsieur le ministre ? Certainement pas nous. Nous n’en avons pas eu peur en commission, nous n’avons pas eu peur dans les meetings que nous avons organisé, nous n’en avons pas peur quand sur le terrain nous informons sur ce que risque de faire, à la société, ce texte.
Nous voila donc réunis pour débattre de ce projet de loi relatif à l’immigration, si cher à M. le ministre de l’intérieur depuis maintenant un an. Un texte au parcours heurté, avec un passage au Sénat en début d’année puis plus rien. Et on le ressort du chapeau il y a moins de deux mois pour le durcir à qui mieux mieux. De 26 articles, nous sommes passés à 80, et vous annoncez aujourd’hui vouloir revenir sur les principales victoires de notre assemblée. Et si seul le sénat compte, M. le Ministre, assumez. Quoi qu’il en soit, nous abordons ce débat dans un contexte dégradé.
Pourtant, parler d’immigration, c’est parler de nos visions respectives de la République, de ce qui pour chacun d’entre nous constitue la France, de ce qui la différencie des autres pays, de ce qui la distingue.
La France que nous voulons, la France que nous aimons, est fidèle à son histoire, à sa devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. La France que nous voulons, la France que nous aimons, est une France qui a la force et le courage d’assumer ses valeurs dans un paysage international violent et où elle doit retrouver son rayonnement perdu.
Plus que son histoire, ce sont ses valeurs que la France doit remettre au cœur de sa politique migratoire.
L’asile inconditionnel est une tradition républicaine : nous le défendons.
La dignité du traitement des personnes qui arrivent sur notre sol est un devoir : nous le défendons.
Une grande nation se distingue en respectant chaque être humain, que ce soit notamment dans l’accueil, la santé ou encore la scolarisation (je vous rappelle que tout enfant a droit à une éducation selon nos textes).
Et quand la France, par ses institutions ou ses choix politiques, oublie son histoire, bafoue ses valeurs, les françaises et les français, eux, restent fidèles à la devise de leur république et agissent pour aider celles et ceux qui souffrent. Ces solidarités existent et perdurent, elles existaient et elles existeront, que l’Etat le veuille ou non, et les écologistes en seront toujours partie prenante, au nom du principe de fraternité.
Je voudrais rendre hommage ici à toutes ces femmes et ces hommes qui agissent spontanément face à l’indignité au quotidien, ces personnes qui rognent sur ce qu’il leur reste à la fin du mois pour donner un peu à celles qui ont encore moins. C’est ça, la France.
Parce que nous respectons nos valeurs, vous traitez régulièrement nos discours d’utopistes. Ils sont pourtant, et contrairement aux vôtres, scientifiquement fondés, s’appuyant sur des études et des faits.
Contrairement à vous, ils ne varient pas selon les résultats des sondages et ne font pas dans la surenchère émotionnelle, dans l’agitation des pires instincts.
Nous écoutons les artisans, ce premier employeur de France si méprisé et oublié, nous écoutons les PME et les PMI, nous écoutons les économistes et nous lisons même les rapports de nos collègues parlementaires.
Nous savons donc que la société française a besoin de l’immigration pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain, d’un point de vue économique évidemment, mais aussi pour transformer notre pays afin d’atteindre la neutralité carbone, pour inventer les technologies économes et durables de demain ou encore pour enrichir notre patrimoine culturel.
Parce que oui, l’immigration n’est pas réductible à un stock de main-d’œuvre.
Un pays fort est un pays qui attire. C’était même la promesse du président Macron avec ses appels aux cerveaux de tous les pays, aux entrepreneurs, etc..
En 2017 à Ouagadougou il déclarait même : “je souhaite que tous ceux qui sont diplômés en France puissent y revenir, quand ils le souhaitent et aussi souvent qu’ils le souhaitent, grâce à des visas de circulation de plus longue durée, parce qu’étudier en France, c’est une relation privilégiée qui doit se prolonger et qui ne doit pas se soumettre à une date couperet ”.
Ce n’est pas le passage qui a le plus défrayé la chronique médiatique à l’époque, je vous le concède (!).
C’était, que l’on soit ou non d’accord avec sa vision, cohérent.
Ce qui l’est moins c’est, 6 ans plus tard, de défendre un projet de loi qui propose l’exact inverse.
Il n’est pas possible, en même temps, de rendre la France attractive et, en même temps, de refuser celles et ceux qui viennent.
Et que dire de notre pays qui ne respecte pas ses engagements climatiques et contribue ainsi à priver, par les conséquences de son inaction, un nombre toujours plus grand de personnes de leurs conditions matérielles d’existence, tout en leur refusant l’accueil.
Vous nous opposez un danger.. mais les chiffres sont sans appel : si la France accueille, elle le fait beaucoup moins que les autres pays d’Europe. Prenons quelques cas de fortes migrations récentes dues aux persécutions et aux guerres : Syrie et Irak. Je pourrais comparer la France aux pays qui accueillent le plus dans la zone Europe, je me contenterai, en bonne élue alsacienne, de la comparer à notre voisine allemande.
Syrie: quand l’Allemagne accueille 53% des réfugiés de guerre, la France en accueille 3%.
Irak, quand l’Allemagne en accueille 48%, la France en accueille 3,5%.
Quel que soit le comparatif choisi, le résultat est toujours le même : la France est un pays qui accueille moins que la moyenne européenne. Même pour l’accueil des Ukrainiens : à charge constante par habitant, la France a accueilli 2 à 4 fois moins que ses voisins européens.
Alors non, qu’il s’agisse de l’asile ou de l’immigration : il n’y a pas d’appel d’air.
Non, il n’y a pas de submersion.
Non, la France n’est pas en danger : elle est juste terrorisée par les mensonges assénés comme des vérités par les mêmes pourvoyeurs de haine depuis 40 ans, et leurs suiveurs.
Ce discours a des conséquences graves dénoncées par la Défenseure des droits. Elle rappelle avec justesse combien ce texte amalgame délinquant et migrant.
Cette rhétorique c’est aussi celle du courrier que vous nous avez fait parvenir pour nous “convaincre”.
Vous y mettez en avant principalement des délits et, outre cet enfant de 6 ans condamné en Île-de-France pour conduite sans permis dont on est en droit de se dire qu’il est quand même sacrément précoce, les condamnations pour viol ou pour violence sexuelle.
Mais quand 9 victimes sur 10 connaissent leur agresseur, on ne peut que rester interrogatifs sur ce choix. Il repose sur le mythe du dangereux inconnu qui alimente le déni autour de la culture du viol et renforce l’imaginaire raciste : l’homme de couleur comme danger pour la pureté des femmes blanches. C’est oublier aussi que dans les faits, 51% des migrants sont des femmes. Un choix signifiant.
Évidemment, la question des migrations est importante et complexe, elle parle de nous et de notre vision de la France.
Et comme le rappelle la Défenseure des Droits: “Un équilibre doit exister entre, d’une part, le droit souverain des Etats de décider des règles d’entrée et de séjour sur le territoire en tenant compte de l’impératif de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la nécessaire protection des droits fondamentaux.”
Mais, toujours pour la citer, “ce projet de loi bouleverse profondément cet équilibre, au profit de nouvelles formes d’ostracisme et au détriment de principes juridiques essentiels, en particulier les principes de dignité et d’égalité. Cette rupture dans la protection des droits et libertés en France emporterait des effets néfastes pour la cohésion sociale et l’intérêt général.”
Mais vous n’êtes ni le seul ni le premier, M. le Ministre. Nous décomptons une centaine de textes, qu’il s’agisse d’ordonnances, de décrets, d’arrêtés, de circulaires, qui ont été promulgués depuis la fin des années 70, dont 29 lois.
A raison d’un texte tous les 18 mois en moyenne, impossible d’évaluer les impacts du premier avant d’appliquer le suivant. Parfois même, toutes les dispositions d’une loi ne sont pas encore en place qu’une nouvelle vient prendre sa place.
Cette critique, c’est celle du Conseil d’Etat qui déplore en filigrane un millefeuille juridique qui complexifie l’application des textes et raccourcit le temps disponible des magistrats et des préfectures pour traiter les dossiers.
A quoi s’ajoutent les remarques de la Cour des Comptes dans son rapport de 2023, nous organisons notre propre incapacité à traiter les dossiers, à repérer et prendre en charge les problèmes, à accueillir dignement.
Malgré la réalité des chiffres, dès lors qu’on a le courage de se comparer, malgré les études et rapports à notre disposition, malgré les promesses présidentielles, vous avez fait le choix du recul des droits.
Vous auriez pu, a minima, tenir sur vos bases : celles de la ligne du texte initial. Mais même cette position, vous n’avez pas su ou pas eu la volonté de la tenir.
À cette heure, vos marchandages avec les droites conservatrices et réactionnaires ont permis de faire tomber la motion de rejet préalable portée par les écologistes.
Le signal est clair : vous avez choisi le recul des droits, le déni d’immigration et préféré le populisme à la réalité scientifique.
Parce que nous aimons la France, parce que nous la voulons forte et respectueuse des droits, mes chers collègues, les écologistes voteront contre ce texte.